L’âge d’or de l’Anjou partie II

Prairie et couchée de soleil
L’Anjou n’est pas à la mode de Paris. Pour la cour, l’Anjou, ça ne vaut pas les « grands vins » de Champagne, de Bourgogne, du Bordelais, de la Côte-Rotie, de l’Hermitage ou de Châteauneuf-du-Pape. Ça n’est pas que les vins d’Anjou soient intrinsèquement inférieurs à ceux-là. Certains clos sont aussi estimés que les grands Bordeaux. C’est plutôt tout un système de réputation nouveau qui s’est mis en place aux XVIIe et XVIIIe siècles.

L'âge d'or de l'Anjou.

« …, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » Jean de la Fontaine.

L’Anjou le mal-aimé

L’Anjou n’est pas à la mode de Paris. Pour la cour, l’Anjou, ça ne vaut pas les « grands vins » de Champagne, de Bourgogne, du Bordelais, de la Côte-Rotie, de l’Hermitage ou de Châteauneuf-du-Pape. Ça n’est pas que les vins d’Anjou soient intrinsèquement inférieurs à ceux-là. Certains clos sont aussi estimés que les grands Bordeaux. C’est plutôt tout un système de réputation nouveau qui s’est mis en place aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Auparavant, nous l’avions dit, on aimait boire de tout. C’était le bon temps. Chaque région était réputée avoir de bons, très bons, mauvais et très mauvais vins. Un peu de tout pour tout le monde.

La nouveauté a été de renverser ce système bien conciliant pour établir une hiérarchie subjective des régions en fonction des préférences de la haute société. Il faut le rappeler, mais la disgrâce s’abat bien arbitrairement quelques fois dans la haute. Les réputations s’y font et s’y défont d’un rien. Un mot de trop, une critique à l’endroit de la mauvaise personne, une faute de goût… Et hop ! Gémonies ! Oubliettes !  Opprobre ! Un jugement de cour c’est parfois péremptoire. Alors, la haute société se montre un peu timorée en ce qu’il s’agit de défier les modes. Il faut flatter, surtout ne pas contredire plus grand que soi à Paris. Façon Don Salluste. Ou alors dans des écrits que l’on se passe sous le manteau. Bref, on se flatte. Et Paris bat la mesure.

Cette ingratitude n’est pourtant pas totalement injustifiée. La mode parisienne est aux arômes secondaires et tertiaires que produit le vieillissement des vins. En Anjou, le vieillissement, ça ne se pratique pas. Du moins, pas à grande échelle. Il y’a là encore une bonne raison pour l’expliquer. Non pas que l’Anjou soit en retard. Que le savoir-faire serait archaïque en Anjou  ! Non !… C’est le marché le responsable !

Tout expédier dans l’année ! Les meilleurs blancs d’Anjou voguent direction la Hollande, les meilleurs rouges vont en carrioles vers Paris. C’est une affaire de territoire, de prix et de créneau.

Business is Business

C’est le marché qui fixe les techniques de production. Chacun reste dans sa gamme, et surtout n’en change pas ! À perte sinon ! Pour qu’il soit compétitif, le vin d’Anjou doit être cantonné à 20-30 livres pour le tout-venant et à 80-100 livres pour le meilleur ; voir 180 livres pour du Vouvray. À peine en dessous des meilleurs crus de Bourgogne et de Champagne.

En 1766, l’Anjou exporte quelque 15 000 pièces vers Paris et 14 000 pièces vers Nantes. La production prospère un temps. Jusqu’à un coup d’arrêt net, entre 1789 et 1795. La Révolution française et plus encore les guerres de Vendée ont dévasté la production. C’est tout à recommencer.

Rappelons au passage que la livre tournois rappelait trop la monarchie aux yeux des révolutionnaires et a été remplacée par le franc en 1795.

Heureusement, la demande persiste. D’après Cavoleau, en 1827, le vignoble du Maine-et-Loire vend 130 000 hectolitres en dehors du département.

S’il est boudé par les plus grandes tables, le vin d’Anjou est largement consommé à Paris. C’est le vin quotidien aux rendez-vous populaires et sur les tables bourgeoises. Autrement dit, il est le vin d’un immense marché.

"La Révolution française et plus encore les guerres de Vendée ont dévasté la production. C’est tout à recommencer."

Les vignobles Angevins visent à être rentables

Les vignobles angevins, comme les autres, visent très essentiellement à être rentables. Question de survie. Voilà pourquoi, leur intérêt était de s’en tenir à leur interstice de vente. 

Il y’eut une enquête en 1829 qui estimait le vignoble du Maine-et-Loire en 1788 à 27000 hectares. En 1835, il était de 38 260 hectares, puis atteint son pic de 42 970 hectares en 1880-1889.

Chaque hectare assure un rendement de 15 et 20 hectolitres qui se vendaient 10 à 20 francs pour les vins communs, 25 à 40 francs pour les meilleurs. Et, plus de 100 pour les clos réputés. Car, il y en avait aussi. Tout le vin produit n’était pas cantonné à la banalité. Certains précurseurs tâcheront mordicus d’innover et de sublimer le vin.

Les riches propriétaires angevins cherchent à redorer leur blason. Sous l’impulsion de Guillory, grand vigneron angevin et président de la société industrielle d’Angers, les expériences viticoles vont se multiplier. La manière de faire du vin se perfectionne. Le modèle à suivre est celui de la Coulée de Serrant, dont les vins « sont cotés à Paris au rang des meilleurs vins de France et de l’étranger ». Guillory promeut avec succès les vins de Champigny : « les Anglais qui habitent la Touraine les ayant trouvé de leur goût ». Ce qui sera sujet à railleries plus tard, mais c’est une autre histoire.

C’est également à cette période que naissent les vins mousseux du Saumurois, suivant la manière des vins de Champagne.

Dichotomie

Dans les années 1860, Jules Guyot, agronome de renom, est le premier scientifique à avoir visité l’intégralité des vignobles de France. Il salue les initiatives bienvenues qui ont été conduites en Anjou, notamment celles de Guillory à la Roche-aux-Moines. Pourtant, cela ne suffit pas à élever l’Anjou au rang des régions les plus prestigieuses, car « c’est un fait bien établi qu’il ne suffit pas de produire un peu de vin exquis pour acquérir et mériter un nom commercial ; il faut en produire beaucoup de bon, de façon à constituer une base de marché ».

Voilà qu’une opposition naît entre les vignobles « de masse » et ceux qui cherchent à se faire un nom. Ceux de la production de masse, les 10-20 francs, produisent vite pour la consommation régulière des milieux populaires. Leurs vignes sont moins entretenues étant donné que l’on y pratique une pluri-activité. C’est-à-dire que l’on y fait un peu de tout comme culture. Quant aux grands propriétaires, ils se spécialisent pour produire des vins dignes des cercles d’influence parisiens.

Le malheur des uns fait le bonheur de l’Anjou

Hasard bizarre, un puceron d’Amérique venu décimer les vignobles français aura un effet d’aubaine pour les vignobles de la Loire. La crise phylloxérique commence par décimer le Midi vers 1870-80, se propageant dans les régions alentours, détruisant peu à peu les vignes. S’en suit mécaniquement une baisse de la production. La demande subsiste. L’inflation commence. Les pucerons virulents, quoiqu’un peu lents, n’arriveront en Anjou qu’à la mi-80. Voilà comment le vignoble angevin a atteint son pic de 43 000 hectares, à peu près, en 1880.

Tous ne s’en sortiront pas à merveille. Les producteurs scrupuleux qui cherchaient à produire de plus grands vins seront stoppés net dans leur élan.

Jusqu’à nos jours

L’hiver est passé, les pucerons sont tombés, les vignerons ont recommencé à expérimenter.

En 1935 sont instituées les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC), et parmi les 76 premiers vins accrédités en 1936, il figure toute une série de vins d’Anjou : Anjou, Anjou-Gamay, Muscadet, Coteaux de la Loire, Muscadet Sèvre et Maine, Quincy, Sancerre, Saumur, Saumur-Champigny et Vouvray. Bonnezeaux suivra en 1951.

Voilà, on y est. La brève histoire des vins d’Anjou touche à sa fin. Pensez-y la prochaine fois que vous partagerez une bouteille des Canons ! Remerciez les Égyptiens, les Romains, César, les Gallo-Romains, les païens, les chrétiens, Irénée de Lyon, les barbares, les Bretons, les Hollandais, les Anglais, les riches producteurs comme les pauvres, les pauvres consommateurs comme les riches ! Remerciez aussi l’hiver, le soleil et les pucerons ! Il y’a tout ça d’Histoire dans un verre d’Anjou… Ça et la passion.

Fin.

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