« Il serait à désirer que l’on renouvelât l’ordonnance de Charles IX, qui défendait de planter l’infâme gamay dans les vignes qui produisent des vins fins » disait André Jullien, grand œnologue du 18e, rendu méchant par le choléra. Les arômes de fruits rouges sur la fièvre évidemment ça écœure, ça provoque de terribles relents dans le corps, c’est encore pire que dans un bateau…
Mais, cette immonde calomnie n’en est peut-être pas une. Il faut dire que le Gamay n’a pas toujours été aussi merveilleux qu’il n’est aujourd’hui. Et que s’il a pu atteindre son point d’acmé en notre mirifique Canon Rouge, ça n’a été possible qu’au prix d’une longue et tumultueuse histoire.
Des débuts compliqués.
Il y existe tout un fouillis d’analyses plus ou moins poussées sur le gamay. Rien que pour la littérature scientifique, il y a des milliers d’articles. Pour ceux qui s’intéressent à ces choses-là, on y apprend par exemple que les cellules du gamay résistent particulièrement bien aux agressions du soleil grâce à la présence de la protéine AroG.
On y apprend aussi que le gamay descend de deux cépages, le pinot noir et le gouais blanc. Ce dernier aurait une histoire illustre. Il nous viendrait soit d’Attila et des invasions Huns au Vème —, c’est la version romantique et assez peu probable de l’histoire —, soit comme pour tout le reste, des Romains au début notre ère.
Le gamay partagerait son hérédité avec le chardonnay, l’aligoté, le melon, le saci, l’auxerrois et toute la famille des noiriens (INRA, Montpellier et University of California, Davis). En revanche, le « gamay » de Californie, que l’on trouve dans les comtés de Napa et de San Benito, n’a rien de commun avec notre cépage, aucun lien.
On en trouve première mention au XIVe siècle, et ça commençait mal. Ça a débuté comme ça.
Le gamay vivait des jours paisibles et occupait les vignes du duché de Bourgogne aux côtés de son père, le pinot noir. Puis, sans crier gare, il fut banni par Philippe le Hardi, dernier fils du roi Jean II, dit « Jean le Bon », et Duc de Bourgogne. Mal luné, il décréta que le gamay nuisait à la réputation du vignoble. Si bien que la première trace que l’on a du Gamay se trouve dans ce fameux décret péremptoire de 1395. Cette ordonnance interdit la plantation du « très déloyault plant » au profit du pinot. Ensuite, le duc répudie le fils, le père épouse le duc, et le voilà roi de bourgogne. Ainsi, le gamay se retrouve banni de la Bourgogne et s’exil dans d’autres confins.
Du moins en partie, en réalité il n’est qu’à demi exilé. Il est banni de la composition des grands vins, ceux de la haute, des croquants, où il a mauvaise réputation. Il ne donnera jamais de grands vins qu’on pensait alors… On ne le tolère guère plus que pour les vins miteux, dans ce que l’on nommait le Passetoutgrain. Le vin qui est tout en bas de l’échelle.
C’est des sols argilo-calcaires et granitiques du Beaujolais qu’il tirera sa rédemption.
Tout cette haine provenait du fait qu’il n’était pas à sa place le malheureux. Il lui fallait un substrat différent du père pour qu’il puisse grandir, pour libérer tout son potentiel et trouver ses accents à la voix les plus intéressants. Il se raffina sur cette bonne terre et devint plus demandé et plus recherché. Il revint même un petit peu de son exil pour se réimplanter en Bourgogne. Il se sublima à un point tel qu’un Cru bien vieilli se confondra aisément avec son père le pinot. C’est le retour du gamay prodigue !
Et, il trouva aussi asile dans la Vallée de la Loire, en Ardèche, à Gaillac, et plus tard, en Italie, Nouvelle-Zélande, Suisse (dans le Pays de Vaud et la Dôle en Valais), Allemagne et Hongrie.
Bref, tout vient à point à qui sait attendre.