À force de sélections, l’homovinifera a bonifié le goût des raisins et la qualité de ses vins. L’aboutissement de tout ça se trouve dans chaque bouteille de nos Canons. Les vins de Loire, les rouges comme les blancs comme les rosés, tous résultent d’une longue domestication de la vigne. Paradoxalement, à mesure que l’on raffine le goût de nos vins, l’on rend la vigne terriblement fragile.
Vitis « domestica »
De cette ancienne liane qu’est Vitis vinifera, tantôt mâle, tantôt femelle, tantôt hermaphrodite. Seul ce dernier trait a été gardé chez la vigne domestiquée. Si la vigne sauvage produit des petits fruits noirs à petits pépins, épars sur la rafle. La vigne domestiquée, elle, produit de très nombreux fruits de plus grosse taille et densément serrés, à gros pépins ; leur pruine (la pellicule poudreuse qui enveloppe le raisin) est plus développée et réfléchit mieux la lumière ; la floraison et la fructification sont plus synchrones, favorisant ainsi la récolte de grappes mûres au même moment…
Que s’est-il passé ?
De sélection en sélection, ses lianes grimpantes n’ont plus eu besoin de grimper aux troncs pour trouver le soleil, alors elles ont renforcé leurs pieds. Or, un trait majeur de la vigne cultivée est sa forme buissonnante et peu lianescente, largement déterminée par la taille.
C’est une manipulation profonde de la physiologie de la plante qui vise d’abord à empêcher la vigne d’accumuler trop de tiges, qu’elle nourrirait aux dépens des fleurs et des raisins. Ce faisant, les petits raisins de vitis vinifera sont devenus gros. Sont venus alors les tuteurs et d’autres tailles. Peu à peu, les connaissances et les observations ont permis de développer toute une science de la vigne. La métamorphose de la vigne domestiquée est donc l’effet d’une sélection génétique, mais aussi d’interventions sur sa physiologie. La qualité des vins en a été grandement améliorée… mais à trop vouloir le raisin idéal, on aurait presque péché devant l’évolution. On a rendu la vigne terriblement vulnérable. À force de sélection, les individus devenus tous semblables ne sont pas du tout adaptés aux changements brutaux. Il y’a bien quelques traits qui évoluent toujours, mais lentement. Cette lenteur n’a rien de naturel, l’évolution n’est pas si lente en réalité. Lorsque le phylloxéra ou le mildiou sont apparus au 19e siècle dans le bagage de bateaux américains, le processus de sélection artificiel empêchait la vigne de développer une réponse naturelle contre les maladies. Résultat des courses, la vigne qui ne représente que 3,7 % de la surface agricole française consomme 20 % des pesticides, dont 80 % de fongicides. La première solution fut d’hybrider des cépages traditionnels et des Vitis nord-américains. De ces croisements, le noah, le clinton, l’isabelle et autres maréchal Foch. Malgré des nez agréables et fruités, ces cépages souffraient d’une odeur musquée dite de renard en rut. On parle de vins « foxés ». Pas terrible en bouche… Et aussi leur fermentation qui produisait du méthanol toxique… Alors, de 1927 à 1975, ces hybrides salopés furent interdits en France. Ensuite, à force de sélection les hybrides sont devenus plus acceptés, moins toxiques et moins en rut. La seconde solution fut le greffage de cépages européens sur des porte-greffes issus d’hybrides ou directement de Vitis nord-américains. Ce greffage a permis — sans attendre le brassage génétique de la reproduction sexuée et une longue sélection — de combiner les atouts des vignes européennes (qualités aromatiques et résistance des feuilles au phylloxéra) à la résistance racinaire américaine. Il faut bien se rendre compte de la fragilité de la vigne et en prendre terriblement soin, sans cesse. Si on parvient à bricoler des solutions, il ne faut pas oublier que la quasi-totalité de nos cépages a failli disparaître à cause des maladies, de climat, des maladies dues au climat… Et que les pesticides et fongicides ne sont plus du tout dans le coup. La vigne n’est sans doute pas prête à tous ces changements qui lui tombent dessus… C’est tout à la fois ! Le charme et le péril inhérents nos manipulations qui ont poussé la métamorphose de la vigne. Quelque part, on se doit tout… On s’est tellement éloigné du patron, Vitis vinifera, qu’on peut presque dire que l’on a créé notre vigne. Pas totalement ex nihilo, mais à force de si bien la tripatouiller, on en a fait du sublime dans nos vins.