L'âge d'or
Les aristos gaulois, César, les Romains, les Gallo-Romains, les libations, les chrétiens, quelques massacres, quelques conversions, l’eucharistie, voilà ce qu’il a fallu pour que puisse naître le vin en France.
Nous voilà au XVIe siècle. Tempus fugit ! Cent cinquante décennies de pratique en Anjou auront bien parachevé la technique vinicole ; on n’en est pas encore à nos vins actuels. La société évolue doucement. À Paris, une bataille s’amorce entre les régions. Qui produit le meilleur vin ? Bourgogne, Orléanais, Île-de-France, la Champagne et les vins d’Anjou se disputent la couronne.
Le vin d’Anjou en France.
Petit à petit, la cour fleurdelisée prend villégiatures dans toutes les régions. Elle boit de tout, elle apprécie presque tout. Des fardiers les accompagnes pour transporter leurs vins adorés de Bourgogne, d’Île-de-France, de Champagne et d’Anjou.
Ce brassage des typicités incite les découvertes viticoles. Les connaissances se développent fabuleusement.
Partout en France le vin s’affine. Partout, l’on expédie tout. Ainsi on trouve le vin d’Anjou en tous lieux. Il y a dans ce moment de l’histoire une sorte de communion formidable autour des vins.
S’en suit tout un engouement autour des vins d’Anjou. Un phénomène de mode et de goût. Agronomes et œnologues s’exaltent de la qualité des vins d’Anjou. Pour le dire en passant, il faut se figurer un vin différent d’aujourd’hui. Olivier de Serres, le père de l’agronomie française décrit ces vins comme majoritairement blancs, changeants, tantôt secs tantôt liquoreux comme ceux de Gascogne. Il décrit des vins rouges aussi, gouleyants et clairets. La clémence du climat permettait, selon lui, une cuvée de deux jours seulement contre 7 à 8 pour ceux de Paris.
La qualité des vins d’Anjou proviendrait des vendanges tardives, lorsque « les raisins mêmes, de maturité commencent à tomber à terre, cela étant causé, tant par la tardité des climats, que naturel des raisins qui se nourissent de la gelée».
L’essor du vin d’Anjou.
Déjà au mi-Moyen Âge, Moyen Âge central, vers 1200, les tonneaux de vin s’exportent de Nantes.
Depuis cette époque, des négoces sont établis dans tous les ports avec des prospecteurs missionnés par les couronnes d’Angleterre, d’Espagne ou du Portugal. Ils viennent sélectionner vins et eaux de vies pour l’essentiel.
Ce sont les marchands flamands et hollandais qui sont les plus sensibles aux attributs des vins d’Anjou. En 1550, 30 tonneaux sont importés à Middlebourg( Middleburg), puis 50 tonneaux en 1566. La Hollande importe quelques 12000 tonneaux à Middlebourg, de Bordeaux et de La Rochelle. L’Anjou ne pèse pas encore bien lourd.
Un capitaine, hollandais bien avisé, note à propos du vin de Nantes -, comprenez le vin d’Anjou-, qu’il est nettement meilleur que celui de La Rochelle. S’installe alors en Anjou une petite colonie hollandaise pour, entre autres, acheter des vins en remontant la Loire. Difficile néanmoins de quantifier ces importations.
Le commerce international des vins d'Anjou.
Ce préambule du commerce international des vins d’Anjou a exercé une influence manifeste sur les vignobles. Très vraisemblablement, certains d’entre eux auront cherché à contenter les goûts de ces clients fortunés. Les vignerons auront pris soin d’adapter la production à la demande en vins blancs doux des Pays-Bas. Voici pourquoi.
En 1568, sept provinces des Pays-Bas espagnols, dont la Hollande, se révoltent contre la monarchie hispanique. Ce conflit finira en 1648 avec le traité de Münster, conflit que, bien inspiré, l’on appellera : Guerre de Quatre-Vingts Ans.
Les séditieux manquant d’à peu près tout dans leurs petits pays. Alors pour s’affranchir de la main mise espagnole, ils vont développer prodigieusement le commerce. La Hollande du XVIe siècle devient le paradis du libre-échange que Marx qualifiera injurieusement de « nation capitaliste par excellence ». La future jeune république a le vent en poupe. La tolérance à l’égard de certaines populations y est bien moins relative que sous les monarchies. Bon nombre de persécutés instruits viennent s’y réfugier. Ainsi la jeune nation prospère.
Voilà pourquoi il faut séduire la Hollande. C’est la promesse de débouchés formidables. Et naturellement, il y a de quoi titiller l’intérêt des vignerons et les rendre complaisants.
Annus horribilis
« En la présente année 1709 il s’est fait un tel hiver, que de mémoire d’hommes il n’en a eté veu un pareil. »
« Les vignes eu ont été aussi gastées et celles, qui estoient un peu élevées, a fallu les couper par le pied. Ce qui a trompé, c’est qu’un cruïoit qu’elles repousseroient par le haut, et en ne les aiaut pas coupées par le bas, elles n’ont point repoussé, quoi qu’elles soient vertes et vivent en terre; ce qui donne à espérer qu’elles repousseront l’année d’après. » registre de la paroisse de la Pélerine.
L’inflation suivit. Le vin d’Anjou qui se vendait 20 à 30 livres la pièce de 250litres triple. Toujours moins cher que le Bordeaux, plus cher qu’à La Rochelle.
« . Item, proh dolor ! on ne vendengea pas cette année du tout, surtout trois lieues autour d’Angers, où les vignes furent entièrement gelées, excepté les jeunes ceps qui se défendirent un peu, qui ne produisirent point de raisins. Il parut pourtant quelques lames mais la brime les ruina, et s’il resta quelque chose, cela ne put murir, en sorte que les moindres vins montèrent bientôt è 100 1 » Registre de la paroisse de Beaucouzé.
Bien que cette année fut misérable, elle aurait eu pour Nantes et l’Anjou un bénéfice inattendu. Soucieux de prévenir des pertes lors de futures glaciations ; Louis XIV, lui-même, aurait ordonné la plantation du melon de Bourgogne dans la région. Avec ses gros ceps, le melon de Bourgogne était réputé plus résistant au froid. Ainsi, de la volonté du Roi-Soleil serait né le Muscadet.
Pour conclure
L’intendance de Tours mène une enquête en 1748 qui permet d’établir la géographie des vignobles. L’ouest de l’Anjou alimente « les Isles, la Hollande, l’Allemagne intérieure et quelques fois Paris », et les marchés locaux. Quant à l’est, les marchés intérieurs et Paris notamment. Saumur témoigne de cette dualité en fournissant des vins « pour l’étranger et pour Paris ». Les blancs de la rive gauche partent à l’étranger, les rouges de la rive droite vont vers Paris. Lorsque les vins partent ! C’est encore la consommation vernaculaire qui pèse le plus lourd en Anjou. Et heureusement, car de son côté, Paris commence à bouder les vins d’Anjou…