Une brève histoire du vin en Anjou. Alors, où est-ce que l’on en était ? Je voudrais pas vous perdre en route. Ah oui ! Au deuxième siècle, c’est loin ! Le vin, les Gaulois, les Romains, les Gallo-Romains, l’oppidum d’Angers. Le bruit sourd du changement qui s’amorce. Une secte venue d’Israël persécutée pour des raisons politiques. Temps maudits des calomnies, boucs émissaires d’un dément incendiaire, Néron, qui calcinera Rome en l’an 67 du calendrier sectaire. Que vient faire le vin là-dedans ? Que vient faire l’Anjou là-dedans ? Tout est lié ; faisons vite.
La naissance du monde chrétien d’occident et l’eucharistie.
Fin de suspens, cette secte était la religion chrétienne. L’évangélisation des Gaules a pris un peu plus de temps que celle des provinces orientales de l’Empire romain. Religio illicita, secte alors, elle se développe grâce aux marchands venus d’Orient. Nous l’avions vu, les indices archéologiques qui nous sont parvenus de cette époque sont rares. Considérez donc ce récit comme vraisemblable, historiquement privilégié, presque admis, mais relativement théorique.
Dans une certaine mesure, cette religio illicita est tolérée dans la plupart de l’Empire. Exception faite des martyrs de Lugdunum(Lyon), la chasse aux chrétiens n’est pas sport d’empire. Le couloir commercial rhodanien qui apportait le vin aux Gaulois privilégiés est aussi berceau des premières communautés chrétiennes connues. Eusèbe de Césarée, évêque de Palestine et historien du 3e siècle apr. J.-C., atteste dans ses écrits de communautés chrétiennes à Vienne et à Lyon en 177. Fuyant la cohorte, les chrétiens quand même un peu persécutés vivent clandestinement leur foi. Ils se réunissent à proximité des villes dans les sépultures chrétiennes. Leurs pratiquent occultes font fantasmer le paganisme jusqu’au massacre.
Eusèbe relate dans l’Histoire ecclésiastique : « Les sévices innombrables que leur infligeait la foule entière, ils (les martyrs) les supportèrent généreusement : ils furent insultés, frappés, traînés par terre, pillés, lapidés, emprisonnés ensemble ; on leur fit subir tout ce qu’une multitude déchaînée a coutume de faire contre des adversaires et des ennemis »
« Les corps des martyrs furent donc exposés et laissés en plein air durant six jours ; ensuite, ils furent brûlés et réduits en cendres par les pervers qui les jetèrent dans le fleuve du Rhône ».
Sale temps pour les chrétiens, mais tous ces sacrifices serviront —, si l’on peut dire, — aux légendes hagiographiques. Les « sévices innombrables » dont parle Eusèbe de Césarée sont probablement tirés des textes d’Irénée de Lyon (130 – 202).
Il succède à Pothin, premier évêque de Gaule ; lui-même disciple de Polycarpe ; disciple lui-même —, selon ses dires —, de l’apôtre Jean ; disciple de Jésus fils de Dieu.
Et si j’insiste tant sur la figure d’Irénée de Lyon, c’est qu’il a peut-être malgré lui, fait que le vin français est un emblème.
Il n’arrive à Lungdunum qu’à la fin des années 170, sûrement après l’épisode des martyrs. Il écrit un ouvrage important, l’Adversus haereses ou Contre les hérésies, et l’eucharistie y est au cœur.
L’eucharistie est dans la religion chrétienne, l’acte d’Église qui renouvelle le geste du Christ lors de la dernière Cène. Entendez, le moment où Jésus consacre le pain et le vin lors du dernier dîner avec ses apôtres. « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang… ». C’est pourquoi l’eucharistie prend une telle place chez Irénée. Elle est au cœur de sa vision du monde et du salut. Pour lui, l’eucharistie est un sacrifice (IV, 17, 6, IV 18, 1 et IV 18, 4) pour Dieu dans lequel doivent se joindre la foi, l’espérance et la charité. Et la grâce se trouve dans le pain et le vin qui sont le corps et le sang du Christ sauveur. L’analogie avec les martyrs de Lyon est évidente.
Alors, les symboles sont là et le christianisme s’installe. Furtivement d’abord, en prudence, les chrétiens étaient 2 % en Gaule vers 250. Puis, Constantin Ier, par l’édit de Milan, met fin aux persécutions en 313. Il se fait baptiser avant sa mort. Quelques années plus tard, Théodose 1er suit et interdit le paganisme et les hérésies. L’Empire romain chrétien voit jour en 380 et de 2 % l’on passe de 5 à 10 % au IVe siècle (Pierre Chuvin, Chronique des derniers païens : la disparition du paganisme dans l’Empire romain, du règne de Constantin à celui de Justinien, Les Belles Lettres, 2009, p. 127.)
Mais voilà que tout vacille. Le déclin est amorcé. Trop grand, trop fragmenté, trop épuisé des assassinats, querelles et casus belli, l’Empire se divise. La scission s’opère en 395 entre l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient.
La religion reste. Avec elle, des vignobles se développent. L’Empire affaibli est attaqué de toute part.
Par-ci par-là, les incursions barbares ravagent tout. Les escarmouches se multiplient. Ils viennent du nord, de Germanie, d’un peu partout. L’Empire romain, – de chez nous, – est assailli ! Courez, fuyez, cachez-vous… Ils viennent prendre votre vin !… Cachez le vin !
Voilà, doucement on y arrive, mais il fallait en passer par-là pour parvenir au vin et se rapprocher de l’Anjou. Rien ne vient de rien.
La première fois que l’on entend parler par écrit de la viticulture dans le Val de Loire, cela provient de Grégoire de Tours, évêque et historien du VIe siècle. Il en fait mention indirectement dans son Histoire des Francs. D’abord, il y retrace l’histoire de Saint-Martin, légionnaire romain puis premier évêque de Tours, qui installa le monachisme en Gaule et qui eut une influence considérable dans le monde chrétien. Sancti Martini ayant partagé sa chlamyde, son manteau, avec un pauvre frigorifié, s’en alla convertir la Flandre.
Ensuite, dans un autre passage, Grégoire relate des pillages lors des vendanges dans la basse vallée de Loire. Voici donc là toute première histoire du vin de Loire. Ce sont les Bretons qui nous attaquent ! Nos vieux frères ennemis, déjà un peu belligérants et pas déjà portés sur la viticulture sont venus piller le bon vin d’Anjou. Sans doute venaient-ils chercher ce qui leur manquait. En 1800 ans, peut-on dire que ça ait changé ? Comme quoi une rivalité c’est d’abord un héritage.
« Saint-Martin // Boit du vin // Dans la rue des Capucins // Il a bu la goutte // Il a pas payé // On l’a mis à la porte avec un Coup d’balai » Chant des Flandres.